Grotte du Cardinal – Bâtie

Une histoire vieille de plus de 200 ans

L’histoire des grottes du Cardinal commence dans la première moitié du XIXème siècle. A cette époque, l’agglomération genevoise prenant rapidement de l’ampleur, les besoins en gravier de construction deviennent importants. A une époque où la traction animale était le seul moyen de transport, les falaises du bord du Rhône offrent alors une source de matériaux économique et facile d’accès.
Les pentes et les falaises du Bois de la Bâtie sont formées dans « l’Alluvion ancienne », dépôts d’une ancienne plaine alluviale en aval du glacier du Rhône. Ces dépôts se sont formés lors d’une période de retrait glaciaire, lorsque le glacier se terminait dans la région de Chêne-Bourg. Ces alluvions ont subi des phases de cimentation naturelle, aboutissant au conglomérat relativement solide que l’on peut observer dans les cavités.
Vers les années 1870 – 1880 l’exploitation de gravier cesse, et les cavités ainsi formées sont affectées au stockage de bière pour celles du Cardinal et Tivoli et à la culture des champignons pour les galeries de la rampe Quidort et de la rampe St Georges.
C’est en 1875 que le brasseur A. Flühler achète à la commune de Lancy les parcelles 1601 à 1607 où il fait construire (probablement dès 1877) une brasserie composée de plusieurs bâtiments. Il fait également aménager un chemin qui monte sur le bois de la Bâtie, et grand pionnier des énergies propres et renouvelables, fait installer dans le fleuve une roue à aubes reliée par un câble à une roue placée sur la façade de l’un des bâtiments, permettant d’actionner des dispositifs mécaniques dans la brasserie. C’est A. Flühler qui fait aménager les mines de gravier pour en faire les grottes que nous connaissons, construisant les murs extérieurs munis de grandes portes pour fermer les ouvertures béantes de la carrière, recouvrant les parois friables d’enduits de béton, construisant les cuves à bière ainsi que les installations que nous pouvons encore deviner comme la cheminée, les escaliers, les aérations, etc.
Quatre ans plus tard, en 1881, l’entreprise est vendue à la Brasserie du Bois de la Bâtie S.A. pour la somme de 210’521 francs. Mais l’année suivante la faillite est prononcée et la société ainsi que le terrain et les bâtiments sont rachetés par la banque créancière pour la somme de 92’800 francs. Dès 1882, les bâtisses sont abandonnées et commencent à lentement tomber en ruine.
Les bâtiments disparaissent finalement sans qu’on sache s’ils ont été rasés ou s’ils sont tombés par eux-mêmes. Le temps passant, les vestiges de la brasserie disparaissent, mais comme souvent pour les noms de lieux, on se souvient vaguement que l’endroit a abrité des ateliers de fabrication de bière. Par amalgame populaire avec les brasseries de Tivoli situées à l’emplacement de l’actuelle route des Jeunes, qui furent rachetées par Cardinal, les grottes reçoivent le nom de Grottes du Cardinal.

Dessin des bâtiments de la brasserie de A. Flühler, publié dans l’Almanach du Vieux Genève, 1951
Un visiteur debout sur l’Escalier de la Mort (Photo © J. Remolu)

1900 – 2000

Au cours du siècle dernier les grottes sont le théâtre d’une multitude d’histoires de tous genres dont certaines sont relatées dans les journaux de l’époque. Certaines de ces histoires ont donné le nom à différents lieux comme « L’escalier de la mort ».
En 1960, les grottes reçoivent les premières visites des spéléologues de la SSS Genève, qui y tiennent parfois leurs réunions hebdomadaires. Les grottes commencent à être trop fréquentées et deviennent de plus en plus insalubres. C’est à partir de cette période que les entrées sont plus ou moins régulièrement murées par les autorités puis réouvertes quelques mètres plus loin par les amateurs troglophiles.
Dans les années 1980-90 toute une faune bizarre se promène dans ces galeries. Des punks, des skinheads, des gars louches avec des armes à feu qui s’entraînent au tir sur un vieux coffre-fort rouillé qui traîne dans les galeries, mais aussi des scouts, des apprentis, des spéléologues… C’est l’époque où des concerts sauvages sont organisés dans les champignonnières abandonnées de la Rampe St Georges. Au début des années 90, les murs des parois sont solidement re-maçonnées et une porte métallique installée. La porte ne tarde pas à céder, et des trous d’accès apparaissent rapidement à divers endroits.
En 1998 et 1999, la SSG procède aux relevés topographiques des grottes du Cardinal. Le fruit de ce travail est présenté ici, avec quelques corrections dues aux nouvelles découvertes, aux éboulements de décembre 2018 ainsi qu’à la topographie laser réalisée en janvier 2020.

2000-2020

Le nouveau siècle des grottes du Cardinal s’ouvre par une belle découverte, le 4 mai 2002, le Joy Kataphil Movement (JKM) ouvre un accès vers une salle encore inconnue des troglophiles urbains.
Le 13 mars 2003, un PV du conseil administratif de la Ville de Genève propose l’acquisition pour 1 franc symbolique de la parcelle, ainsi que la sécurisation du site. Pour ce faire, différentes variantes techniques sont étudiées, dont l’effondrement par minage à l’explosif des parois d’entrées et le remplissage complet des salles d’entrés par soufflage de gravier. C’est le gunitage (projection de béton) du fronton qui sera choisi, pour des raisons de coût, mais aussi de protection du patrimoine.
En 2008, la ville de Genève met à exécution son plan de condamnation des grottes par gunitage des parois et des alentours. Du béton est soufflé sur 10 cm d’épaisseur sur une armature en treillis. Le béton déborde largement sur les parois alentours pour éviter les percements de nouvelles entrées pirates. Une porte métallique plus solide que la première est conservée, afin de permettre au service d’incendie de la ville d’y accéder pour continuer ses exercices.
25 décembre 2018 : Effondrement des parois des trois salles d’entrée. La grotte est à nouveau accessible à tous !

Le mur de la salle des Os en 2003. Remarquez les anciennes ouvertures en arc en plein cintré
La salle des Cuves Est

Description de la grotte du cardinal emplacement

Les grottes sont situées en rive gauche sur le chemin au bord du Rhône, à 100m environ en aval du viaduc CFF. À l’époque de l’exploitation de la brasserie elles étaient accessibles par de hautes portes et jouissaient d’ouvertures au niveau du 3ème étage. Les bâtiments disparus, les entrées étaient fermées par des portes en bois jusque dans les années 70, puis finalement tout fut maçonné en afin d’interdire l’accès.

Disposition et description des salles et galeries

Par rapport aux autres grottes souterrains du bois de la Bâtie, qui sont principalement constitués de galeries rectilignes se recoupant à peu près sur le même niveau, les grottes du Cardinal ont une topographie beaucoup plus complexe composée de 12 salles et de nombreux couloirs et galeries répartis sur cinq niveaux avec de multiples connexions inter-salles et inter-niveaux.

Ambiance

Abandonnées depuis presque 140 ans, les grottes du Cardinal ont vu défiler bien des amateurs de mondes en marge. Interdites depuis leur abandon, elles ont été colonisées à toutes les époques par une faune interlope qui y a laissé ses traces. Il y a les impacts de balles, peu visibles sur les murs de galets, mais trouant de nombreux objets métalliques, dont le célèbre coffre-fort. Celui-ci se déplace régulièrement dans les galeries au gré de son utilisation comme cible par les tireurs. Sans aucun doute a-t-il été amené ici par des voleurs qui ont trouvé l’endroit parfait pour prendre leur temps à l’ouvrir. De nombreux détritus jonchent le sol, mélangés sans égard pour leur différence d’âge : les canettes de bière en alu y voisinent avec des textiles moisis et d’anciens artéfacts rouillés et méconnaissables. Partout des coulures de cire, des godets de bougie en alu et des gravats détachés des plafonds. Une épaisse couche de suie recouvre les sols, souvenir de feux qui ont dû rendre la grotte irrespirable pendant de longues semaines. Tout cela participe à rendre l’endroit particulièrement sinistre, mais les marques les plus caractéristiques des Cardinal restent les aménagements encore existants (cuves, fours, escaliers, plots, etc.) et les graffitis de toutes époques. Certains sont remarquables par leur ancienneté ou par les informations qu’ils donnent. Certains sont mythiques, et il est dommage qu’ils aient parfois été recouverts par d’autres graffitis nettement moins intéressants.

La grande salle, transformée en salle de réception fantastique en
septembre 1997
Le graffiti ayant donné son nom à la salle du
Pasteur (Photo © J. Remolu)

Après 2020

Les grottes du Cardinal n’ont pas fini leur traversée des siècles. L’effondrement des parois d’entrées fin 2018, peut-être conséquence du gunitage (infiltrations d’eau si le drain n’est pas assez efficace) a réouvert pour de bon ce terrain de jeux épique. Les travaux pour refermer les grottes semblent titanesques, et nous ne savons pas si un budget est prévu pour cela dans le plan de réaménagement du bois de la Bâtie. Sales, mal fréquentées, dangereuses, ces grottes n’ont jamais été mises en avant dans les archives ou les publications officielles.
Et pourtant, ce sont bien les grottes du Cardinal qui recèlent le plus de trésors, d’histoires et d’aventures incroyables, reflets de l’évolution des mentalités sur plus de 140 ans.

Extraits de l’article sur les Grottes du Cardinal : N. Stotzer, Grottes du Cardinal, Hypogées, 2020, N°77, pages 9 à 23.